Le sauplier, entre ciel et mer
Le
sauplier peuple d'innombrable rêves d'indécis qui ne sont autre que
les gens qui ne parviennent pas à faire un choix catégorique entre
le ciel et l'eau. Prenant racine dans la terre parce-qu'il n'a pas le
choix, le sauplier oscille entre ciel et mer. Il préfère l'eau de
mer à l'eau douce. C'est sur une île au fin fond d'un de mes rêves
que j'ai découvert cet arbre. J'attends toujours avec impatience
l'arrivée des beaux jours pour aller rejoindre la plage au petit
matin avant l'arrivée de la foule. C'est un moment privilégié
entre la mer huileuse, le ciel traversé par quelques rares nuages
aux reflets rouges, le soleil devenant à peine orangé et moi-même.
Ce matin-là, j'étais arrivée bien avant le lever de soleil. A ma
grande surprise, une barrière longeant la plage me cachait la mer.
Plus j'avançais, plus cette barrière prenait de la hauteur. On
aurait cru qu'elle se levait avec le soleil. C'est qu'elle s'était
bien levée avec le soleil.
Arrivée
à deux cents mètres de cette barrière, je commençais à voir des
trous qui me laissaient voir la mer. En même temps la barrière,
tout en grandissant, semblait bouger. C'était des branches et les
trous n'étaient autre que des espaces qui séparaient les troncs
d'arbres. C'était en fait un défilé de peupliers. Devant un tel
spectacle, je suis tombée à genoux sur le sable me demandant à
chaque seconde ce qu'il allait se passer. Quand le ciel commençait à
peine à s'éclaircir, les arbres étaient tous déployés. Leurs
sommets se balançaient légèrement au gré d'un vent léger comme
s'ils voulaient humer le ciel et caresser les nuages qui s'étaient
égarés au-dessus de leurs têtes. Quand l'horizon annonçait le
lever imminent du soleil, je distinguais de mieux en mieux la mer.
Les grands peupliers semblaient s'effriter pour disparaître
complètement au moment même où le soleil pointait le bout de son
nez, me laissant un champ libre pour accéder à la mer. C'était une
eau limpide qui m'avait accueillie ce matin-là comme si les arbres
avaient absorbé par leur présence toutes les impuretés et tout ce
qui pouvaient me repousser ou me faire peur. Les poissons, eux,
étaient bien là pour me saluer comme chaque matin. Après avoir
parcouru un aller-retour de la plage à la nage, je quittais la plage
tout en me promettant de revenir le soir même après le travail. Ce
soir-là je m'étais préparé un pique-nique pour dîner sur la
plage dans l'espoir de voir un beau coucher de soleil. La plage étant
désertée au fur et à mesure, je retrouvais à nouveau la sensation
vécue au petit matin ce même jour, ce moment privilégié entre le
ciel, le soleil, la mer et moi. Je dégustais mon pique-nique devant
le soleil qui descendait doucement vers le niveau de la mer, un repas
que j'avais trouvé particulièrement succulent. L'émotion me
parcourait quand le soleil avait touché l'eau à l'horizon pour
commencer son plongeon et disparaître complètement.
Indécise,
je restais là, immobile, sans savoir ce que j'allais faire alors que
l'horizon devenait de plus en plus flou et sombre. C'est à ce
moment-là que j'entendais des crépitements, des claquements mêmes.
C'étaient les peupliers du matin qui étaient revenus faisant à
nouveau barrière devant la mer. Puis leurs silhouettes semblaient se
courber doucement jusqu'à ce que les sommets atteignent l'eau pour
s'immerger. Subjuguée, je décidais de m'approcher de ces arbres
malgré la peur qui me faisait sursauter au moindre bruit. La mer
était devenue inaccessible, les arbres s'étaient tous courbés
déployant leurs branches dans l'eau. Je voyais alors des petites
lueurs blanches dans l'eau, c'était des méduses prises au piège
dans les branches des arbres. Je comprenais alors que ces arbres
étaient des saupliers, ces arbres entre ciel et mer, protecteurs des
individus comme moi, qui aimaient la mer avec toutefois des
appréhensions. Ainsi ils protégeaient les hommes de la dangerosité
de la mer, la nuit, en leur interdisant l'accès pour leur laisser une
eau limpide au petit matin.
Nelly H.H.
Atelier d'écriture du 02/05/2013
Commentaires